Retour aux articles

Prix de la carence du dirigeant dans sa gestion administrative et comptable de l’entreprise en liquidation

Affaires - Commercial
26/11/2021
La convocation d’un dirigeant de société en liquidation devant le tribunal de commerce, par acte d’huissier auquel est jointe la requête du procureur de la République en vue du prononcé de sanctions personnelles, est régulière. Ce dirigeant ayant été condamné par le juge pénal dans la même affaire à une interdiction de gérer de dix ans, la cour d’appel a pu également le condamner à une interdiction de gérer de dix ans, rien n’établissant qu’elle ait statué sur les mêmes faits que ceux sanctionnés par le juge pénal.
Le tribunal peut, en application de l’article L. 653-5, 6°, du code de commerce, prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant social ayant fait disparaître des documents comptables, n’ayant pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou ayant tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables. Par ailleurs, l’article L. 653-8 du même code autorise, à la place du prononcé de la faillite personnelle, celui de l’interdiction de gérer.
 
Le présent arrêt donne une parfaite illustration des agissements donnant lieu à une telle sanction, approuvant au passage les modalités de saisine de la juridiction à laquelle elle est demandée.
 
Saisine du tribunal de commerce par le ministère public
 
En l’espèce, une société X…, ayant pour dirigeant M. Y…, avait été mise en liquidation judiciaire le 24 mars 2015. Le 11 janvier 2018, le tribunal de commerce avait été saisi par requête du procureur de la République en vue du prononcé de sanctions personnelles contre le dirigeant ; ce dernier avait été convoqué à l’audience par voie de citation à comparaître du 9 avril 2018. Il était reproché à M. Y… :
 
— de n’avoir pas tenu de comptabilité conforme aux textes applicables, "pour n’avoir remis au mandataire judiciaire aucun bilan pour la période postérieure au 31 décembre 2014, seuls des documents provisoires à savoir balance et grand-livre ayant été produits pour l’exercice 2014 et ensuite aucun document comptable n’a été établi" ;
 
— une irrégularité dans la comptabilité "établie au vu d’une vérification de comptabilité par les services fiscaux qui a mis en évidence notamment une absence de justificatif de certaines écritures en comptes courants d’associés ainsi que des factures entre sociétés du groupe informel ne reposant sur aucune prestation réalisée générant de la TVA fictive, le tout s’inscrivant dans un vaste système de fraude au moyen de facturation intra groupe pour des prestations contestées ou non justifiées sans flux financier correspondant qui permettait de générer des crédits de TVA (TVA collectée minorée et droits à déduction fictifs)".
 
Par ailleurs, dans la même affaire, M. Y… avait été condamné – pour escroquerie et tentative en bande organisée – par jugement du tribunal correctionnel du 7 mars 2019 à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont trente mois avec sursis et interdiction de gérer de dix ans.
 
La cour d’appel, après avoir considéré que la saisine de la juridiction commerciale était régulière, a prononcé à l’encontre de M. Y… une mesure d’interdiction de gérer toute entreprise individuelle, artisanale ou commerciale et de diriger toute personne morale pendant une durée de dix ans. Reprochant à l’arrêt d’avoir rejeté la demande d'annulation du jugement du tribunal de commerce du 21 février 2019 et contestant la sanction prononcée à son encontre, le dirigeant s’est pourvu en cassation.
 
Régularité de la saisine de la juridiction commerciale
 
Ayant constaté que le tribunal de commerce avait été saisi par requête du ministère public et que M. Y… avait été convoqué par voie de citation à comparaître, la cour d’appel a jugé la saisine régulière.
 
Ainsi que le souligne la Haute juridiction, la cour d'appel a exactement énoncé que "le recours à la lettre recommandée avec demande d'avis de réception prévu par l'article R. 631-4 du code de commerce, auquel renvoie l'article R. 653-2 du même code, comme mode de convocation du dirigeant poursuivi par le ministère public en vue du prononcé de sanctions personnelles, n'est pas prescrit à peine de nullité et qu'une convocation par un acte d'huissier de justice, auquel est jointe la requête du procureur de la République, constitue un mode de saisine régulier du tribunal".
 
Durée de l’interdiction de gérer
 
En application de l’article L. 653-11 du code de commerce, lorsque le tribunal prononce l'interdiction de gérer, il fixe la durée de la mesure, qui ne peut être supérieure à quinze ans.
 
Se fondant sur cette règle et rappelant sa condamnation pénale, le dirigeant a interpellé la Cour de cassation sur le fait que le montant cumulé des sanctions d'interdiction de gérer qui lui ont été infligées était de vingt ans.
 
La Cour de cassation rejette le pourvoi : l'arrêt se bornant à faire état contre M. Y… "d'une condamnation correctionnelle à une peine de quatre ans d'emprisonnement, dont trente mois avec sursis, assortie d'une interdiction de gérer de dix ans pour « escroquerie et tentative en bande organisée », sans aucune autre précision, il ne peut en être déduit que la cour d'appel a statué sur les mêmes faits que ceux sanctionnés par le juge pénal".
 
Pour aller plus loin
Pour des développements complémentaires sur la procédure à suivre aux fins de voir prononcer une sanction personnelle contre le dirigeant de la société en liquidation, se reporter aux nos 4843 et s. de l’édition 2021 du Lamy droit commercial.
Source : Actualités du droit